La méthanisation, une usine… à gaz ? Ou ce pourquoi je n’ai pas engagé ma ferme dans l’unité de méthanisation locale.
Il peut être louable de produire de l’énergie renouvelable à partir des fumiers/lisiers produits sur les fermes. Mais… pas à n’importe quelle prix !
Le développement de la méthanisation agricole concerne le Maine et Loire. Ce seraient à terme 46 unités sur le département dont 2 tout récemment à Vihiers et Montilliers. Le Gabb (groupement d’agriculture biologique d’Anjou) après un riche débat au sein de son conseil d’administration en est arrivé à la conclusion suivante : la méthanisation est une fausse bonne idée (sauf dans le cas de micro-unités).
L’organisme de collecte de lait bio Biolait a pris la décision de ne pas collecter du lait de fermes s’engageant dans ce genre d’unités collectives de méthanisation.
Cela rejoint la mienne de ne pas engager ma ferme volaille bio dans celle de Montilliers.
La méthanisation autorisée en bio ?
La réglementation bio n’interdit pas aux agriculteurs bio de prendre part à des projets de méthanisation collectifs alliant fermes bio et non bio. Personnellement cela me posait un problème d’apporter des effluents bio et de récupérer pour épandage du digestat non bio. Ceci est pourtant autorisé partant du principe que le digesteur assainirait le produit (chaleur) lors du processus. Mais qu’en est-il des risques de contaminations (antibiotiques, ogm…) liés au mélange bio/non bio ?
Concrètement la majeure partir des méthaniseurs collectifs incluent en plus des apports agricoles, une proportion de déchets industriels ou de boues de stations d’épuration au pouvoir méthanogène plus important que les effluents agricoles, mais interdites en bio (à vérifier si cela pourrait être possible à Montilliers / Vihiers).
L’ensemble des matières apportées au méthaniseur devrait être autorisé par le règlement bio et contrôlable par un organisme certificateur.
Les unités actuelles sont adossées à une agriculture intensive, industrielle, productiviste.
Ce genre de fermes produisent des quantités importantes de fumier/lisier, leur gestion (épandage) est une grosse contrainte en travail et frais de mécanisation. Le déléguer aux employés du méhaniseur lève celle-ci. De plus la mutualisation du plan d’épandage sur l’ensemble des terres des fermes engagées, permet en l’optimisant de pouvoir atteindre la limite des 170 unités d’azote organique par hectare. Un développement des élevages est donc encore possible.
C’est ce qui s’est passé puisque depuis la création des unités de Montilliers/Vihiers, ce sont localement
6000 à 8000 m2 de bâtiments volailles type industriel qui ont été soit réhabilités soit créés.
Cela fige le système d’exploitation.
En effet les engagements en volume d’effluents envers le méthaniseur court sur la durée d’amortissement de l’unité. Cela fige donc le système actuel des fermes.
En abandonnant l’élevage industriel de volailles pour passer en agriculture durable biologique je me suis fixé de nouveaux objectifs « produire mieux et moins ». La ferme produit maintenant 10 fois moins de volailles, diminuant d’autant la production d’effluents. La quantité d’azote organique produit par hectare est descendue à 100, soulageant la pression de pollution en nitrate du Lys.
Ces fermes engagées dans le méthaniseur peuvent-elles engager ce genre de revirement ?
Economie d’énergie ?
Se limiter aux unités de méthanisation construites à proximité du passage des conduites de gaz naturel aurait du être une contrainte obligatoire. Le méthane produit juste filtré est injecté directement.
Sinon cela oblige à faire de la cogénération c’est à dire que le méthane produit sert à faire tourner une génératrice électrique. Et la chaleur produite n’est que partiellement valorisée (chauffage de quelques bâtiments, dessication de digestat) soit surinvestissement et moins bonne valorisation de l’énergie produite au départ.
De plus quand on voit la noria de camions, épandeurs transportant les effluents des fermes vers le méthaniseur puis de celui-ci vers les terres on peut se poser la question de cette débauche d’énergie fossile.
Des dérives à prévoir ?
Normalement en France, l’incorporation de cultures (biomasse à haut pouvoir méthanogène ) est interdite car elle concurrence les cultures vivrières.
Mais il est autorisé d’y incorporer des cultures intermédiaires. Késako ? Ce sont des couverts végétaux obligatoirement mis en place durant la période hivernale. Cela permet de piéger les nitrates libres du sol et éviter ainsi de les retrouver dans les eaux notamment les rivières, nappes phréatiques. Ces cultures sont logiquement réincorporées au sol pour nourrir celui-ci. Mais elle peut être éventuellement récoltée pour nourrir les animaux en cas de manque (sécheresse, ce qui est souvent le cas en Anjou).
Des articles parus dans des revues techniques agricoles montrent des matériels adaptés pour leur récolte en vue d’incorporation dans le méthaniseur. Tout est prêt pour franchir cette barrière ténue.
Et du point de vue agronomique ?
Le digestat ne présente pas du tout les mêmes propriétés agronomiques que cette ressource précieuse en agriculture bio qu’est le fumier. Comme l’affirme Yves Hérody (géologue et fondateur du Bureau de Recherches sur le Développement Agricole), les digestats de méthanisation sont mauvais pour la fertilité et la vie des sols à long terme car ils ne sont constitués que d’un engrais minéral et de carbone stable : ce qu’une usine de méthanisation n’a pu dégradé, le sol ne le fera pas.
Quid de l’argent public ?
Suite aux lois sur l’eau (1992) un plan de maîtrise de pollution d’origine agricole été mis en place. Une des actions de cette loi a obligé les fermes à construire des infrastructures de stockage des fumiers/lisiers couvrant la période hivernale de 4 mois. Ces investissements lourds ont été aidés à hauteur de 30 à 40 % de subventions publiques. L’apport quotidien de fumiers/lisiers frais des fermes vers le méthaniseur rend caduques ces infrastructures. De plus d’autres financements publiques ont refinancé ces stockages au sein du méthaniseur.
Mais ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
Malgré cela, le procédé de méthanisation en lui-même demeure une source d’énergie alternative aux énergies fossiles : EPR ou méthanisation, un choix à faire ? La méthanisation peut être un procédé intéressant sur des projets agricoles qui ont déjà effectué leur révolution agricole (durable, biologique) ou sur des projets urbains à l’échelle d’un quartier : prise de conscience de la production de « déchets » qui deviennent ainsi des « ressources ».
Mais le développement à marche forcée de projets collectifs agri-industriels n’est pas une solution d’avenir d’autant plus qu’elle concourt souvent d’un discours de greenwashing qui tente de faire apparaître comme vertueux des élevages industriels et des pratiques agricoles qui ne le sont pas.
Alain Chazerault.
Alain Guiffes, Nathalie Touret eux non plus n’ont pas intégré le méthaniseur local et s’associent à cette
réflexion.